10 janvier 2007

«Renforcer les moyens pour soigner en détention, c'est prendre le risque de favoriser l'incarcération des malades mentaux», déclare le Dr Cyrille Canetti, psychiatre à Fleury-Mérogis, dans une interview (Libération, 6-7 janvier 2007) donnée à propos du meurtre et de l'acte de cannibalisme commis par un détenu de la prison de Rouen sur un de ses codétenus. Je ne peux que m'inscrire en faux contre cette idée.

Le problème actuel, dans les prisons où j'interviens, n'est pas qu'on y incarcère des malades mentaux : ils y sont déjà. Parmi les meurtriers et les agresseurs sexuels que j'y rencontre régulièrement, il n'y en a pas un seul chez qui je saurais écarter de façon absolument sûre le diagnostic de psychose. Les psychiatres et les psychologues travaillant en milieu pénitentiaire et relevant souvent d'autres formations cliniques que la mienne parviennent au même constat : la part de la paranoïa, de la schizophrénie et des psychoses maniaco-dépressives est écrasante chez les grands agresseurs. Les perversions qui n'y manquent pas se réduisent, si l'on prend le temps de les étudier, à des symptômes aidant ces sujets psychotiques à se maintenir dans la vie ­ au détriment de leurs victimes.

Le Dr Canetti a bien raison de dire qu'il faut soigner ces gens, les envoyer dans les unités psychiatriques pour malades difficiles, et multiplier ces unités. Il le faut, oui ! Mais, entre-temps, on n'a pas d'autre choix que de soigner les détenus fous là où ils sont ­ en prison. L'Etat aurait donc tort de continuer à limiter «les moyens de soin en détention».

La psychose ne signifie pas automatiquement l'irresponsabilité. Or une cour d'assises a condamné à perpétuité, avec une très longue peine incompressible, un homme qui a assassiné deux personnes. Pas surprenant, vu la gravité du crime ­ sauf que l'acte de cet homme lui avait été imposé dans un état hallucinatoire précédé par une idée délirante de fin du monde. Si tout le monde est responsable, alors plus personne ne l'est.

La dangerosité dans notre société ­ et aussi dans nos prisons ­ est aujourd'hui en partie imputable à la passion de l'ignorance ambiante. On ne veut plus rien savoir sur les causalités psychiques des crimes et a fortiori pas écouter les malades emprisonnés, surtout pas ceux qui sont violents.

Certains experts ne restent que quelques minutes auprès des prévenus sur lesquels ils auront à informer la justice. Certains avocats, commis d'office, préfèrent demander la clémence à un jury, chauffé à blanc par les propos vengeurs de la partie civile, au lieu de démontrer au tribunal que leur mandant a commis son passage à l'acte dans un accès de folie. Et certains psychiatres n'ont plus la formation clinique et théorique qui pourrait leur permettre de différencier clairement entre les névroses et les psychoses, entre un délire qui pousse au meurtre et un délire qui permet au sujet de reconstruire son monde.

Il y a quelque chose d'infantile dans l'attitude de ces élites : elles attendent toujours le salut de réformes administratives ou politiques dont elles savent pourtant bien qu'elles arriveront trop tard.

C'est en écoutant les malades, aussi violents soient-ils, qu'on se donne la chance de tirer de leur parole le savoir nécessaire sur les passages à l'acte des psychotiques, pour reconnaître le degré de leur dangerosité et pour les soigner. L'intervention thérapeutique doit commencer là où ils se trouvent et même en prison.

https://www.liberation.fr/tribune/2007/01/10/soigner-les-detenus-fous-la-ou-ils-sont-en-prison_81458

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